Stéphanie Muzard Artiste engagée et paysanne bio

Stéphanie Muzard  Artiste engagée et paysanne bio

une licence pour libérer les semences

Open Source Seeds Licence : une licence pour libérer
les semences

Posted on 3 mai 2013par calimaq

http://scinfolex.wordpress.com/2013/05/03/open-source-seeds-licence-une-licence-pour-liberer-les-semences/

Les
principes de l’Open Source s’étaient déjà propagés à des domaines relativement
éloignés du logiciel, comme celui de l’Open Hardware ou
de l’Open Design. Mais le
projetOpen Source Seeds propose un modèle de contrat pour
placer des graines sous licence libre.

Rice grains. Par IRRI Images. CC-BY. Source : Wikimedia Commons.

A
première vue, l’idée peut paraître assez incongrue, car on voit assez mal ce
que les semences peuvent avoir en commun avec les logiciels et pourquoi elles
auraient besoin des licences libres. Mais il faut savoir que les variétés
végétales peuvent faire l’objet de droits de propriété intellectuelle, que ce
soit par le biais de Certificats
d’obtention végétale (COV)
 en Europe ou de brevets
aux Etats-Unis
. Les Organismes génétiquement modifiés (OGM) peuvent
également être protégés par des
brevets
, déposés par de grandes firmes comme Monsanto, dont les
agissements soulèvent de plus en plus d’inquiétudes et de protestations.

Une
forme de copyleft « vert »
est-il possible pour que les graines demeurent des biens communs ? La question
mérite d’être posée !

Lutter contre l’appropriation
des semences

Face
à ces formes d’appropriation
du vivant
 par la propriété intellectuelle, il existe tout un
mouvement qui se bat pour que les semences demeurent « libres ». Des
producteurs indépendants comme le Réseau Semences paysannesKokopelli ou Semailles préservent
des variétés anciennes ou rares de graines, afin de favoriser la biodiversité.
Mais le contexte juridique dans lequel ils oeuvrent est difficile, comme
l’explique très bien cet
article du site Ecoconso
 :

Depuis plusieurs décennies, il est obligatoire qu’une semence
soit inscrite dans un catalogue officiel – européen ou national – avant d’être
mise sur le marché.

L’inscription est liée à des conditions bien précises :

  • pour être inscrite, une semence doit entre
    autres répondre aux critères « DHS »  : distinction,
    homogénéité, stabilité. En d’autres mots : une variété doit être
    facilement identifiable et bien distincte de celles déjà inscrites dans le
    catalogue, tous les individus doivent présenter les mêmes caractéristiques
    prévisibles et la variété doit rester stable dans le temps, année après année.
  • l’inscription au catalogue est payante.

Cette législation, qui avait pour but au départ de protéger
l’agriculteur contre des fraudes, a un impact énorme sur la pérennité des
semences de variétés locales et traditionnelles. Car il est impossible, pour la
plupart des semences transmises de génération en génération, de paysan en
paysan, de répondre à des critères conçus pour des variétés produites en
laboratoire à partir d’un patrimoine génétique très restreint et testées dans
des conditions contrôlées.

L’agriculteur, ici ou ailleurs, doit payer chaque année pour
acheter ses semences et ne peut ressemer à partir de sa production ni
développer son propre patrimoine de semences, qui seraient pourtant plus adaptées
aux conditions locales et qui garderaient leur capacité de s’adapter plus
facilement aux conditions climatiques changeantes, aux nouveaux ravageurs…





Pour ne s’être
pas pliée à cette réglementation, l’association Kokopelli a été poursuivie en
justice et
lourdement condamnée en 2012
. Cela ne l’empêche pas de continuer à
dénoncer en des termes très durs l’instrumentalisation qui a été faite du
Catalogue des variétés  et du droit d’obtention végétale dans le sens des
intérêts des grands semenciers :

les tarifs d’inscription au Catalogue sont prohibitifs
(500 €en moyenne pour chaque variété, sans compter les droits annuels à
payer pour les différents types d’examens obligatoires). En définitive, ce
catalogue, initialement facultatif et ouvert à toutes les semences, est devenu,
par une dérive administrative totalitaire, le pré carré exclusif des créations
variétales issues de la recherche agronomique et protégées par un droit de
propriété intellectuelle [...] C’est ainsi que le catalogue est devenu un outil
de promotion de ce droit de propriété particulier, et qu’il s’est
progressivement fermé aux variétés, non appropriées, appartenant au domaine
public.

Les semences comme biens communs ?

Il
existe donc bien d’un côté des semences « propriétaires », sur
lesquelles pèsent des droits de propriété intellectuelle et de l’autre des
semences « libres », que l’on peut encore considérer comme des biens communs :

Les semences peuvent-elles être une marchandise comme une
autre ? Est-ce acceptable qu’une petite dizaine de gros semenciers
détienne plus de 80 % du patrimoine des semences, pourtant patiemment
amélioré pendant des siècles par des générations de paysans ? Ne s’agit-il
pas d’un patrimoine de l’humanité, d’un bien commun et collectif auquel tout un
chacun devrait avoir accès ?

Il
y  a quelques semaines
, un tribunal américain a pourtant estimé
qu’un petit agriculteur américain s’était rendu coupable de contrefaçon en
replantant d’une année sur l’autre les graines produites par des plats de soja
brevetés par Monsanto.  Cette firme a construit son business model en utilisant la propriété
intellectuelle pour retirer ce droit élémentaire aux paysans, les forçant à
acheter ses graines et ses herbicides chaque année.

 

Face
à cette dérive propriétaire, certains comme l’indienne Vandana Shiva propose
d’appliquer les principes de l’Open Source aux semences, en reliant cette
problématique à celle des biens communs et à la préservation des Savoirs
traditionnels  :





D’autres, comme
David Bollier,
 proposent d’aller plus loin encore en mettant en
place un Copyleft pour les semences, comme il en existe un pour les logiciels :

Il existe un mouvement qui progresse parmi certains cercles
d’agriculteurs pour créer un équivalent du copyleft pour les semences, de
manière à ce que ces agriculteurs puissent produire des cultures open-source.
Cette démarche sera peut-être la seule solution : développer un agriculture
alternative en open source, bénéficiant de protections juridiques que le
partage puisse continuer. Une manière de hacker la loi, comme l’a fait la
General Public Licence  avec les logiciels libres.

Une licence pour placer les graines sous copyleft

Pour
concrétiser ces visions, l’initiative
Open Source Seeds
 propose sur son site la première version
d’une licence adaptant d’une manière originale les principes des licences
libres aux semences, et notamment le fameux « partage à l’identique »
(Share Alike) qui est le propre du copyleft.

Copyleft wallpapers. Par Leo Utskot. CC-BY-NC-SA.

Voici une traduction en français que je propose de cette licence
:

Open
Source  seed licence version 0.1

Vous
êtes libres de :

Partager : partager, distribuer et donner ces semences

Remixer : cultiver ces semences

Faire un usage commercial de ces semences

Selon
les conditions suivantes :

Attribution: Vous devez inclure
une copie imprimée de cette licence lorsque vous partagez ces semences ou ds
graines issues de ces semences (progeny of these seeds).

Pas
de modification génétique : 
Vous n’êtes pas autorisé à procéder à des
modifications génétiques en laboratoire de ces semences ou de graines issues de
ces semences.

Partage
à l’identique :
 Si vous recevez ces semences ou des graines issues de ces
semences, suite à un don ou à un achat, vous acceptez en conséquence d’être lié
par ces conditions.

Si
vous récoltez à n’importe quel moment de l’année plus de 500 grammes de graines
issues de ces semences, vous devez en mettre à disposition gratuitement au
moins 10 grammes via le site www.open-seeds.org (les
frais de port restant à la charge des demandeurs). Vous devez également
enregistrer et publier les informations liées à votre pratique de culture,
ainsi que les lieux dans lesquels ces semences ont été cultivées.

Si
vous récoltez à n’importe quel moment de l’année plus de 100 kilos de graines
issues de ces semences, vous devez en mettre à disposition gratuitement au
moins 500 grammes via le site www.open-seeds.org (les
frais de port restant à la charge des demandeurs). Vous devez également
enregistrer et publier les informations liées à votre pratique de culture,
ainsi que les lieux dans lesquels ces semences ont été cultivées.

Si vous cultivez ces semences, vous devez distribuer les
semences des générations suivantes selon les termes de cette licence.

On relèvera l’effort intéressant pour adapter aux semences des
notions comme celles de paternité, d’oeuvres dérivées ou de partage à
l’identique.

Je
trouve également très pertinent le fait de ranger dans les conditions imposées
au titre du partage à l’identique le fait de devoir publier les informations
liées à la culture des semences. De la même manière que les développeurs produisent de
la documentation
 ou des manuels pour accompagner leurs
logiciels, les agriculteurs Open Source devront documenter leur pratique et
partager le fruit de leur expérience avec le reste de la communauté.

On
voit d’ailleurs déjà une telle logique à l’oeuvre dans certains projets liés
aux semences. Le
projet Urbsly
 par exemple, actuellement en recherche de fonds
par crowdfunding, propose de lutter contre l’appropriation des
semences par de grosses entreprises utilisant des brevets, en créant
un « Open Seed Data Catalog », qui recensera les variétés produites par des
producteurs indépendants, ainsi que les données utiles aux agriculteurs pour
choisir les graines les mieux appropriées à leurs cultures. Le projet vise
aussi à publier en Open Access le séquençage génétique des variétés, afin
d’empêcher le dépôt de brevets par de grandes marques. Cette approche est
intéressante, car elle montre les ponts qui peuvent exister entre Biens communs
de la nature et Biens communs de la connaissance, à travers l’Open Data et
l’Open Access.

Retrouver des pratiques ancestrales de partage

Mettre
en place des licences libres pour les semences risque d’être plus complexe que
pour les logiciels. En effet, la
législation en vigueur reconnaît un droit d’auteur aux créateurs de logiciels
,
qui peuvent ainsi « retourner » la logique du copyright grâce aux
licences libres pour mettre leur propriété en partage.

 

Avec
les semences, les choses sont plus complexes, car le régime spécial de
propriété qui porte sur les variétés végétales est beaucoup plus adapté aux
semences « propriétaires » qu’à celles des producteurs indépendants.
Il en résulte que l’Open Source Seeds Licence pourrait manquer de base légale,
comme l’explique les porteurs du
projet
 qui sont conscients de cette faiblesse :

Il n’est pas certain que les conditions imposées par la licence
puissent avoir une valeur juridique les rendant opposables. Il est possible
qu’elles doivent être plutôt regardées comme un code de bonnes pratiques à
respecter sur une base volontaire.

Les
lois qui ont instauré un droit de propriété intellectuelle sur les semences
sont très différentes de celles qui concernent les logiciels. Un des points
essentiels à propos des droits de propriété intellectuelle sur les semences
réside dans les critères deDdistinction, Homogénéité et Stabilité (DHS) qui sont
nécessaires pour pouvoir bénéficier de la protection. C’est de cette manière
que ces droits fonctionnent partout dans le monde, parce qu’une variété doit
être suffisamment stable pour pouvoir être reconnue comme une variété. Mais les
variétés les plus intéressantes pour la biodiversité sont généralement trop
instables pour respecter ces critères. Or c’est précisément leur
« instabilité » qui leur permet de s’adapter aux différentes
conditions de culture.



On en arrive à ce paradoxe que l’absence de
droit de propriété, qui est pourtant à la « racine » du problème de
l’appropriation du vivant, pose ici difficulté puisque la licence libre en a
quand même besoin pour être valide juridiquement. Pendant ce temps, les
licences attachées aux semences produites par Monsanto
 peuvent
s’appliquer devant les tribunaux, avec les conséquences désastreuses que l’on
sait…

Il faudra suivre le développement de ces
licences libres appliquées aux semences, car il s’agit d’une des pistes pour
préserver des pratiques ancestrales de partage de graines, remontant sans doute
à des millénaires et qui se réactivent aujourd’hui avec des associations comme Graines de troc.

Le compte Twitter d’André Le Nôtre (@Lenostre) signalait
par exemple ces jours derniers que des pratiques d’échanges de plants rares
existaient entre jardiniers au 17ème siècle, dont on retrouve la trace dans cet
ouvrage
.



«  J’ay
veu que quelques jardiniers curieux se fréquentoient les uns les autres
amiablement, & faisoient recherche de ce qu’ils pouvoient avoir en leurs
jardins, pour voir s’ils avoient quelques espèces de fleurs ou de fruicts que
l’un ou l’autre n’eust point, afin de s’en entre-accommoder. C’est ce qu’il
faut que les jardiniers de présent fassent, & qu’ils prennent la peine,
& ne soient paresseux d’aller où ils sont advertis qu’il aura esté fait
quelque beau jardin, pour voir s’il y a quelque chose de beau dont ils n’en
ayent point la cognoissance, mesme, qu’il en demande au jardinier, peut-estre
celuy qui demandera, aura aussy quelque fleur que l’autre n’aura point, &
par ainsi feront eschange amiablement l’un à l’autre, de telle sorte que l’un
et l’autre en seront fort contens. […] feu mon père avoit une quantité de
fleurs de toutes sortes, c’est qu’il faisoit comme j’ay dit cy-dessus, il
prenoit la peine & le plaisir en mesme temps d’aller voir les jardins qui
estoient en réputation, et s’il se présentoit quelque fleur devant ses
yeux dont il n’en avoit point, il en demandoit hardiment au jardinier, en luy
offrant de luy en donner d’autres qu’il recognoissoit que le jardinier n’avoit
pas aussi, par ce moyen ils s’accommodoient ensemble » 
Claude Mollet, Le théâtre des plans et
jardinages
, 1652, p. 185-187.



06/05/2013
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